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RPS : Le conflit de valeurs

Bonjour Sébastien, votre précédente chronique faisait un lien vers le conflit de valeur.

Bonjour Mélody. En effet, nous allons poursuivre notre tour des risques psycho-sociaux en traitant aujourd’hui du conflit de valeur. D’ailleurs, celui-ci se décline sous plusieurs formes :

· Les conflits éthiques,

· La qualité empêchée

· Le sentiment d’inutilité du travail

· L’atteinte à l’image du métier


Qu’en est-il alors du conflit éthique ?

Eh bien, le conflit éthique touche à des valeurs professionnelles qui sont fortes, et sur lesquelles votre hiérarchie vous demande de fermer les yeux… Vous savez, cela a concerné les salariés de France Télécom qui avaient été embauchés dans une mission de service public, dans cette lancée sous Giscard de faire installer le téléphone dans tous les foyers.


Une fois que cela a été fait, ce qui a quand même pris quelques années, on a demandé aux salariés de ne plus installer des lignes téléphoniques mais de vendre des abonnements, des produits. Or, ils n’étaient pas là pour faire du commerce, mais pour faire du service public.


Mais c’est un conflit éthique ou une évolution du métier ?

Eh bien on pourrait dire que c’est les deux.

C’est un peu comme pour Bic, vous savez, la marque de stylos jetables. Le but premier était de faire des stylos « pour écrire facilement et en douceur ».


Mais une fois qu’ils ont inventé le stylo jetable qui écrit facilement et en douceur, version bleu, noir, rouge, vert, une fois qu’ils ont fait le stylo à 4 couleurs, celui à 4 couleurs pastelles, celui qui s’efface, ils ont à peu près fait le tour du stylo jetable… Et ils se retrouvent avec des concurrents sur le marché et leur chiffre d’affaire baisse.


Mais oui, la question, c’est comment innover après avoir décliné comme ça toutes les possibilités des stylos jetables…


Eh bien, il faut faire un pas de côté, c’est-à-dire changer de paradigme. Il faut se demander ce que fait réellement Bic…

De même, que faisait France Télécom : installer des lignes téléphoniques ou autre chose ? Car une fois que tout le monde a une ligne téléphonique qui arrive chez soi, on fait quoi d’autre ?


Pour Bic, il y a eu un changement de paradigme. Ils se sont dit qu’ils ne fabriquaient pas des stylos, mais des objets jetables. Le champ des possibles s’est alors considérablement élargi.

Faut imaginer la scène : vous avez un ingénieur de chez BIC qui se réveille un matin, qui regarde sa femme, et qui lui dit : eh, chérie, j’ai eu une idée. Et si je faisais des rasoirs… !

Vous imaginez la tête de son épouse… BIC, c’est des stylos… !

Et faut imaginer la réunion de recherche et développement, le gars qui arrive en disant : j’ai eu une idée, et si on faisait des rasoirs !


On peut imaginer qu’il s’est gentiment fait rappeler qu’ils étaient un des leaders du marché des stylos, pas des soins du corps…


Et puis, finalement, ils font des rasoirs. Leur cœur de métier était de faire des stylos, et le paradigme a changé, contraint par le marché, et leur cœur de métier est devenu : faire des objets du quotidien, mais jetables…


Pour France Télécom, ça a été pareil : après avoir installé des lignes téléphoniques dans tous les foyers, il a bien fallu faire autre chose. Et on a demandé aux équipes de vendre des abonnements, des produits etc.


Mais c’est plutôt une bonne idée, car ça permet d’éviter de licencier ces salariés qui n’ont plus de lignes téléphoniques à installer…


Oui, sur le principe c’est même une excellente idée. Sauf qu’ils avaient un métier précis, une identité professionnelle, et qu’il a fallu changer de métier et d’identité.


Cela a donc amené des conflits éthiques chez ceux qui n’ont pas pu faire cette bascule, car ce n’est pas du tout la même chose que de faire du service public en installant des lignes téléphoniques à des personnes âgées et vulnérables pour qu’elles soient reliées aux autres, et devenir un commercial qui vend à des personnes âgées et vulnérables des produits dont elles n’ont pas besoin, et qu’elles n’ont peut-être pas les moyens de se payer…


Oui, on voit le problème moral qui arrive au galop !

Exactement, Mélody !


Alors, dans la question conflit de valeurs, il y a aussi la qualité empêchée, le sentiment d’inutilité, et l’atteinte à l’image du métier.

Oui, et on voit que les choses ne sont pas nécessairement isolées. La qualité empêchée a généralement trois sources possibles : l’intensité excessive du travail, le manque d’autonomie et le manque de reconnaissance.


Dans nos exemples précédents, l’intensité excessive du travail peut amener à mal faire son travail et donc empêcher cette bonne qualité du travail. De plus, le manque d’autonomie contraint également les travailleurs à être en-dessous de leurs capacités, et empêche la qualité de ce qu’ils pourraient déployer, et le manque de reconnaissance couronne le tout.


Pour le sentiment d’inutilité, certains postes ont des missions qui manquent clairement de sens, voire dont le travail réalisé sera défait peu après par un autre service, ou bien il n’aboutira pas, tout simplement…


C’est quelque chose qui arrive souvent ?

Je ne sais pas si cela arrive souvent, il faudrait faire des enquêtes rigoureuses pour le savoir. Mais pour l’anecdote, je l’ai connu à titre personnel en tant que salarié, détaché dans une structure associative qui m’a donné une mission de recherche pour élaborer un projet d’action. J’ai été affecté à cette mission à hauteur de 20% de mon temps de travail chez eux, pendant un an.


Et une fois le projet monté, la direction qui était bicéphale, en rivalité entre eux deux, et sans compétence en management au point de mettre sérieusement l’équipe en souffrance au travail, a laissé le projet dans les cartons…


Est-ce que cela a porté atteinte à votre image du métier ?

Non, j’ai laissé le combat de coqs se faire en me disant que j’avais fait mon job. Le reste était des questions d’égos, ce qui dépassait largement mon champ de responsabilité...


Mais vous voyez, cela aurait pu générer un conflit éthique chez moi par la qualité empêchée, en me disant qu’ils m’avaient confié des moyens importants pour répondre à des besoins réels, qui d’ailleurs avaient été commandés par mon employeur lors de ma mise à disposition. Et puis que finalement, ils ne faisaient rien de tout ça.


Mais bon, j’ai pris du recul, j’ai quitté le champ des émotions, et je me suis fait une raison stoïcienne : n’attendons de la vie que ce qui dépend de soi. Et c’est déjà pas mal…


Merci Sébastien, alors on va terminer sur ces paroles philosophiques !


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